Vide - Luciano Doti




Texto en español en Breves no tan breves: "Vacío"

Traducido al francés por Caroline Lepage y Céline Rollero

La nuit est le territoire de la liberté, une dimension où règne le libre arbitre. Le silence, un trou noir dans l'obscurité. Nuit silencieuse ; rien que le vent soufflant contre la fenêtre, les vitres vibrent. Le vent est un invité habituel à cette heure-ci, peut-être également la journée et est-ce simplement que la nuit, nous prêtons davantage attention à ces sons-là. Des sons qui, quand nous étions enfants, nous paraissaient effrayants, mais qui, plus tard, à l'adolescence, sont devenus des compagnons indissociables de nos soirées. Compagnons de nos rêves éveillés, de notre anxiété et de notre désolation. Personnellement, il m'est impossible d'imaginer ma vie sans ces délires nocturnes, sans la littérature qui jaillit du plus profond de la nuit, tel un torrent d'eau venant irriguer un désert.

Vide ; la nuit, on ressent le vide, dans le calme qui s'empare de tout et que l'on trouve en tout. L'écrivain est à l'affût. Il égrène de son esprit les lettres qui donneront forme à sa nouvelle création. La feuille se noircit de caractères qui germent comme des semences ; alors le vide n'est plus aussi vide et le désert présente un aspect un peu moins désert.

Mensonge ! C'est juste un truc d'artiste, qui a fait apparaître quelque chose là où il n'y a rien. Eu égard à sa condition évanescente, l’illusion s’évapore, et à l’endroit où il semblait y avoir quelque chose, il ne reste qu'un creux où se développe une pensée. Le chaos diurne attend, il viendra de l'Est. Demain, la routine sera de retour. Prisonnier ! Englué dans le quotidien ! Quand me sortirai-je de cet état ? Heureusement, c'est toujours la nuit, et la lune m'offre la liberté.

En tirant le rideau, la lumière du néon filtre à travers le store vénitien. Encore quelques heures avant que le jour ne l'emporte sur la nuit. Et qu'est-ce que la nuit ? C'est quelqu'un sur le lit en train d'écrire dans un cahier. Ce sont les heures passées lentement avec la télévision pour unique témoin, le volume au minimum pour ne pas nous trahir ; pour que les autres habitants de la maison ne se rendent pas compte qu'il y a parmi eux quelqu'un qui ne dort pas, qui voue un culte à l'insomnie, qui jouit de chaque seconde sur ce territoire, peut-être le seul que nous autres, les hommes, avons su conquérir pour nous. C'est l'horaire qui échappe au châtiment divin voulant qu'il faille travailler pour gagner son pain, à la sueur de son front. La nuit, la pomme peut être croquée sans fautes ni réprimandes. Car sans la faute, nulle réprimande dès lors que cette dernière n'est qu’un état de l'esprit conditionné par ce que nous avons appris de la vie. Tout demeure stocké dans notre tête ; même quand nous ne pensons pas à quelque chose, ce quelque chose fait partie de notre structure mentale et ne nous quitte pas ; exception faite de celui qui s'en remet à la liberté de l'art et du rêve.

Il existe un lombric qui, lorsqu'il tombe par terre, se transforme en serpent, et un chat qui, sous l'influence de la lune, se change en tigre. Les folies d'un même être. Ils sont dans notre jardin et la nuit, ils atteignent tout leur potentiel ; sinon, comment expliquer une telle métamorphose,celle de deux animaux aussi inoffensifs en deux bêtes aussi sauvages. Je ne laisse d'être fasciné par leur manière de défier le danger sans fléchir ; ils sont dignes d'admiration. Forts, agiles, ils ont la complexion physique des êtres libres, des êtres qui ne perdent pas de temps à réfléchir à ceci ou cela. Sans ces préjugés éthiques et moraux que nous apprenons le jour et qui nous oppriment. Dans ces conditions, la nuit est un processus de désapprentissage, une cérémonie donnée en l'honneur de la liberté. On est soi-même, sans pressions d'aucune sorte, sans distinctions de hiérarchies ou de classes sociales, parce que nous sommes seuls avec nous-mêmes. Il s'agit de se comporter comme les animaux sauvages : ils sont, un point c'est tout ; l'esprit n'est pas un poids pour eux, ils possèdent leur propre nirvana. Dès lors que l’on a désappris ce qui nous entrave, il n'y a plus qu'un espace vide, qui s'emplit de ce que souhaitons, nous.

Et cela dure le temps que dure la nuit. Lorsque le soleil commence à poindre, le tigre redevient chat, le serpent redevient lombric et file lâchement se cacher sous terre, à l’instant exact où l'écrivain cesse de rêver.


 Publicado en francés en Lectures d'ailleurs


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