Ongles - Cristian Mitelman




Texto en español en Breves no tan breves: "Uñas"

Traducido al francés por Rafael Blanco Vázquez

Une nuit mes ongles poussèrent de façon démesurée. Ce signe de primitivité me fit honte et je décidai de les couper. Cependant, à mesure qu’ils tombaient dans le lavabo, une tristesse minérale me gagnait. Il y avait quelque chose d’injuste dans ce rituel de toilette; une espèce de profanation, comme si on arrachait les branches d’un arbre centenaire.
Le lendemain à l’aube ils se montrèrent aussi longs que la veille. Mais cette fois je décidai de leur laisser libre cours. La situation en soi n’était pas tellement problématique : je ne travaille pas ; les rentes que je perçois pour d’anciennes affaires de famille me suffisent. Je suis veuf et seul depuis des années.
Leur longueur augmenta graduellement ; ils finirent même par se ramifier de manière inattendue. Ce qui pour beaucoup était répugnant me procurait une inhabituelle sensation de plaisir.
Mes ongles n’étaient pas profanés par la crasse du monde. Ils poussaient pleins de puissance, de blancheur, comme la nacre d’antiques formes géologiques.
Il y a des jours où je crois apercevoir dans leur développement les formes changeantes d’une frise indienne.
Peu à peu j’ai été recouvert par moi-même. J’ai une seule crainte. L’index gauche, rebelle, a fait naître une formation trop aiguisée qui, après un long détour dans toute la maison, pointe désormais vers mon cou.
Vu la situation, il est impossible que je me mette à chercher des ciseaux. Mais même si j’en avais à portée de main, je ne me résoudrais pas à détruire une œuvre qui balance entre le baroque et l’atroce.
Je n’attends plus de pitié, juste que cet ongle fasse vite.

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