Les Génomigrants - Nanim Rekacz



La versión es español de este cuento, "Los migrantes", integra la antología Cefeidas, editorial Mandrágora, España.
Ver más en Mujer de cuarenta y tantos (¿qué?): "Los migrantes"

Traducido al francés por Pierre Jean Brouillaud

— Voici Marina, entrez, dit le docteur Bravo.
Enlacés, tremblant d'émotion, ils pénétrèrent dans la salle d'un blanc éclatant où se trouvait la petite, le dos tourné, tranquille, ses boucles d'un ton cuivré recouvrant sa chemise vaporeuse, à l'intérieur d'une énorme bulle translucide. Elle semblait irréelle.
Dès qu'elle entendit son nom et qu'elle les aperçut, ses yeux se mirent à briller.
Ils coururent jusqu'à la vitre qui les séparait de leur petit ange. Les paumes des mains se plaquèrent de chaque côté du verre. Elle souriait. Ils auraient voulu l'embrasser, la caresser. Mais l'essentiel, c'était cette image inconcevable : cette expression paisible au lieu des rictus de souffrance, la peau lisse et rose, sans trace de plaie. À peine remarquait-on, sur ses bras, de légères cicatrices.
Elle était en bonne santé.
Et heureuse, de toute évidence.

Le cauchemar avait commencé le jour même de sa naissance, quand le passage par le col de l'utérus avait arraché son épiderme et que les médecins s'étaient trouvés devant une écorchée, une chair à vif…

— Un bébé papillon ! s'était écrié une infirmière.
Les médecins avaient expliqué aux parents accablés que le nouveau-né souffrait d'epidermolisis bulosa. Peau de verre, peau de papillon… très poétique, mais une réalité abominable.
Chaque explication était un nouveau coup de poignard, une torture de plus :
— C'est génétique, déclarait l'accoucheur.
— Il n'y a pas de remède, se lamentait la gynécologue.
— Mais on peut la soulager, faisaient les infirmières, pleines de sollicitude et de tendresse.
— Ce ne sera pas une petite fille comme les autres, elle ne pourra pas jouer avec les autres enfants, ce serait dangereux – tous les médecins consultés répétaient la même chose. Il lui faudra beaucoup de soins, beaucoup d'affection.
Ils ressassaient ce que disaient les livres :
— La durée de survie a augmenté et l'on a inventé de nouvelles substances pour traiter les plaies.
Et les médecins mettaient en garde :
— On risque de la blesser rien qu'en la prenant dans ses bras.
Eux, muets, impuissants, pleuraient.

Elle survivait, par miracle. Les parents durent suivre un chemin douloureux. Ils se sentaient responsables de ses souffrances, mais jamais ils ne s'accusèrent réciproquement. Au contraire, ils se réconfortaient l'un l'autre dans les moments les plus pénibles. Leur vie quotidienne était une succession difficile de contraintes et de précautions infinies. Le simple fait de prendre le sein lui causait des ulcérations dans la bouche, et le seul frottement d'un tissu laissait des traces sur son petit corps. Ils l'aimaient tendrement, vivant au ralenti, avec des mains de velours.

Les infections étaient inévitables, et on ne pouvait les limiter qu'en injectant des antibiotiques. De même, quand se détachaient des parties de ses pieds si fragiles, il n'y avait pas d'autre solution que d'administrer des analgésiques pour lutter contre la douleur. Ils apprirent à ponctionner les ampoules pour éviter qu'elles ne gagnent la peau saine. Les zones affectées étaient recouvertes de pansements aseptiques qu'il fallait ensuite retirer avec le plus grand soin pour ne pas la blesser. Ils exerçaient deux fonctions en parallèle, celle de parents et celle d'infirmiers expérimentés. Ils luttaient constamment contre l'anémie au moyen de sels minéraux et de vitamines, principalement la vitamine D que le soleil aide à synthétiser. Mais Marina souffrait de la chaleur et des radiations solaires, en même temps que les pansements qu'elle portait perpétuellement empêchaient les tièdes rayons d'automne de caresser son épiderme. C'était un combat sans fin, sans trêve.
Elle ne pouvait jouer comme les autres enfants. Pourtant, ils apprirent à quelques gamins à jouer avec elle. Le plus difficile, c'était de parcourir les rues de la ville sous le regard inquisiteur des gens qui, avec leurs préjugés, la traitaient comme une pestiférée, croyant qu'elle risquait de transmettre sa maladie. Rien ne peinait plus la petite que la façon dont les gens évitaient sa présence, les regards torves, les commentaires à voix basse... L'ignorance était une autre plaie ouverte.
Leur amour, les parents en apportaient sans cesse la preuve. Un amour fait de tendres caresses, de mots et d'attentions, de protection, d'efforts incessants pour trouver de nouveaux médicaments, d'autres traitements et d'autres spécialistes. C'est ainsi qu'ils apprirent à connaître le docteur Bravo et le programme des Génomigrants.

« Un peu d'ordre, s'il vous plaît ! »

En tapant à coups répétés de son marteau sur la table, le coordinateur de la conférence essayait de maîtriser les débats, alors que certains s'étaient levés de leurs sièges et étaient sur le point d'en venir aux mains. Peu à peu le silence se rétablit. Sur les écrans, l'image des participants à la vidéoconférence retrouva sa netteté.
« Mesdames et messieurs, je vous en prie ! Je reconnais que le thème est générateur d'antagonismes, mais l'humanité nous fait confiance, et nous devons nous en montrer dignes. Essayons au moins de clarifier les principales définitions, puisqu'il n'est sans doute pas possible de se mettre d'accord sur le chemin à suivre. Sans offenser qui que ce soit, continuons, s'il vous plaît, à exposer nos positions. »
Le docteur Quiroga s'essuya le front avec un mouchoir en papier. Un léger murmure courut dans la salle. Le docteur reprit :
« Maladie, c'est un terme polysémique à plusieurs dimensions : altération de la santé, troubles du corps ou de l'esprit, dysfonctionnement physique, émotionnel, intellectuel, social touchant le développement physique ou spirituel de la personne, et cetera, et cetera. De même, nous savons bien quels sont les critères objectifs et subjectifs de l'expérience humaine qui nous amènent à dire qu'une personne est en bonne santé ou qu'elle est malade. Nous établissons des modèles et, avec le passage des siècles, nous qualifions de maladie des cas où, auparavant, nous aurions parlé de bonne santé et vice versa. La génétique identifie les gènes défectueux, et ceux qui les portent sont catalogués comme malades. Mais aujourd'hui, notre discussion porte sur le thème suivant : les altérations dites génétiques sont-elles, oui ou non, des maladies et, en conséquence comment doit-on procéder ? »
Ces derniers mots n'avaient pas un ton interrogatif mais résonnaient plus comme une affirmation, un ultimatum. Malgré toutes les divergences, personne n'osa contester.
« Bien. Écoutons la représentante des Néosystémiques. »
La doctoresse Stefenmeyer se leva, inspira profondément et parcourut l'auditoire d'un regard pénétrant. Son attitude rappelait celle des anciens agitateurs révolutionnaires.
« Éminents collègues, pour nous il est clair que le manque d'harmonie entre les éléments d'un système doit être considéré comme une maladie, à des degrés divers, et qu'il signifie que les besoins ne sont plus satisfaits. Il ne s'agit pas d'un châtiment divin, et en cela nous sommes en totale opposition avec les Théogonistes et leurs mensonges au sujet des finalités. Mais, d'une certaine manière, nous avons certainement ouvert la Boîte de Pandore en laissant se désagréger la couche d'ozone et en contaminant l'eau, l'air et la terre. Les maladies sont des signaux d'alarme, un appel à l'attention. Ceux que nous qualifions de malades, chers collègues, ne sont ni plus ni moins que les messagers du changement qui nous crient, dans leur souffrance : « Changez le monde ! » Aujourd'hui, nous pouvons atténuer les symptômes, mais en aucun cas les guérir. Les altérations génétiques ne sont pas pathologiques, mais une adaptation à des conditions environnementales dont le genre humain a le pressentiment. Il faut guérir la planète ! »
Elle se tut brusquement, après avoir haussé le ton dans une salle où l'on entendait très mal les traductions automatiques. Elle termina lentement son intervention, les yeux levés vers la coupole, fixant un point indéterminé au-dessus de la tête des autres scientifiques :
« Si nous ne faisons rien, ceux que nous appelons aujourd'hui malades seront les seuls survivants, les êtres sains de demain. Voilà notre position, mesdames et messieurs. »
Après la réprimande par le coordinateur, personne ne se hasarda à pousser de nouveaux hurlements ou à se lever de son siège. C'est à voix basse et en petits groupes que s'exprimèrent l'accord ou le désaccord des groupes qui s'affrontaient. Ceux qui avaient applaudi auparavant refusaient maintenant d'un signe de tête les assertions des Néosystémiques. Surtout les Métamorphiques, qui avaient tout d'abord présenté leur position, ce qui provoqua agitation et empoignades.
Les Métamorphiques passaient aux yeux de leurs adversaires pour les agents corrompus des multinationales. Toutefois, ils avançaient des arguments difficiles à réfuter et comptaient sur le soutien des entreprises spécialisées dans la manipulation génétique des organismes biologiques. Ils affirmaient que les transformations de l'environnement étaient inévitables et dues à l'évolution de la terre et de l'humanité. Ils partageaient le point de vue des Néosystémiques sur un point : ils croyaient que les anomalies génétiques étaient dues à un processus adaptatif, ce qui en faisait provisoirement des alliés dans le domaine de certaines recherches. Mais, au contraire des Néosystémiques, ils proposaient d'induire ces anomalies chez les sujets « sains » en se basant sur une analyse approfondie des altérations génétiques actuelles. Ils s'attachaient à étudier les conditions particulières de ces sujets en recherchant les modèles qui permettraient d'anticiper sur les changements que la pollution et l'érosion provoqueraient sur la planète et se considéraient comme « les sauveurs de l'humanité ».
— Bon, bon… Maintenant la parole est aux Génomigrants. Prière de nous épargner les plaisanteries !
Au cas où…, il donna un coup de marteau menaçant pour prévenir les habituelles railleries que suscitaient ces intervenants.
Le docteur Bravo, droit derrière son pupitre, parla succinctement de l'origine des espèces, de l'évolution de l'humanité et de sa répartition sur la Terre, des transformations génétiques successives et de la survivance du plus apte. Il mentionna les chemins parcourus du nord au sud et de l'est à l'ouest, de l'adaptation au milieu et des impasses. Il expliqua que l'homme était, par nature, un migrant. Et qu'il changeait. Il affirma :
« Les anomalies génétiques que l'on prétend appeler maladies préparent certains sujets aux migrations futures. Mais vers quelle destination ? Il n'y a plus d'espaces à peupler sur la Terre ni sur les océans. Ce sont les étoiles, chers collègues, qui constituent la destination des prochains exodes, et, vu les mutations qui se manifestent et se généralisent, nous devons savoir où aller, à quelles conditions environnementales lesdits malades doivent se préparer. Ici, sur cette planète, ils n'ont pas leur place, nous ne pouvons prétendre ni les réadapter ni les guérir. Il ne s'agit plus d'un problème individuel ou médical, mais de l'humanité en tant que telle et de son milieu, l'univers. »
C'est en ces termes que le docteur Bravo conclut son allocution. L'énorme salle de conférence semblait un trou noir qui aurait avalé tous les présents.
Après cette intervention, les représentants des autres minorités prirent la parole. Quand on passa au vote, il ne se dégagea évidemment aucune unanimité, ni même de majorité raisonnable. Le congrès dut suspendre ses travaux car un groupe d'extrémistes qui voulaient que l'on traite comme de dangereux malades ceux qui souffraient d'altérations génétiques et exigeaient leur élimination provoqua une alerte à la bombe. Il fallut évacuer l'édifice.

C'est à cette époque qu'était née Marina qui, bien entendu, ignorait tout des particularités de sa condition ainsi que des querelles scientifiques, de leurs implications politiques et culturelles.

Après l'échec de la rencontre, les Génomigrants parvinrent à un accord avec un groupe d'astronomes indépendants, avec des représentants de la SETI* et des Projets Ozma, Phénix et Rosetta@home. Les recherches portèrent sur plusieurs centaines de systèmes proches et habitables (HABCAT), puis elles se concentrèrent sur les dix-sept systèmes théoriquement habitables dans un rayon de quinze années-lumière du système solaire. Le critère retenu ensuite consista à déterminer quelles étaient les mutations qui avaient fait apparaître une certaine augmentation du nombre de sujets affectés au cours des dernières décennies. L'epidermolisis bulosa fut la première sur la liste. Les conditions étaient réunies, la technologie était assez avancée, les biologistes et le corps médical estimaient qu'ils étaient en mesure d'assumer cette mission : une migration génétique dans l'espace.

Tau Ceti se présenta tout d'abord comme la candidate idéale. Se trouvant à douze années-lumière de la Terre, elle constituait l'un des objectif de la SETI depuis un grand nombre d'années, ce qui fait que les informations recueillies se révélaient extrêmement utiles pour le projet de migration. C'était une étoile de taille et de luminosité moyennes, moins chaude que le soleil. Ses caractéristiques se résumaient ainsi : stable, dépourvue de turbulences, et sa rotation était très lente, ce qui était très favorable étant donné le profil génétique des futurs migrants. Mais on se prit à douter quand on constata que Tau Ceti était une étoile beaucoup plus vieille que la Terre et que l'énorme quantité de matière cométaire et d'astéroïdes qui l'orbitaient représentaient un risque de collision dix fois supérieur à celui de la Terre. On l'écarta donc, et l'attention se concentra alors sur Epsilon Eridani, distante d'un peu plus de dix années-lumière de la Terre. Comparable à notre Soleil, mais ayant une masse et un rayon moindres ainsi qu'une luminosité de moins de trente pour cent, c'était une belle étoile jeune, d'à peine 600 millions d'années, contre les 4600 de notre Soleil. Vu qu'il s'agissait d'une migration évolutive, cette jeunesse apparaissait comme un indiscutable avantage. Mais le plus intéressant, ce fut de constater que la planète Epsilon Eridani b réunissait les caractéristiques idoines pour la migration : une planète gazeuse géante, comparable à Jupiter.

La planète visée devait être moins solide et plus gazeuse que la Terre, avoir une gravité moindre, présenter un minimum d'altérations thermiques, et, autant que possible, ne pas être trop chaude. Il était souhaitable qu'elle soit un peu plus éloignée de son soleil ou que son soleil soit moins fort. Ils recherchèrent la présence dans son atmosphère de protéines comme la plectine, la BP-230, le collagène de type XVII et l'intégrine. L'idée, c'était qu'elle soit largement approvisionnée en vitamine D, ce que l'on croyait très difficile à trouver. Cette planète existait : Epsilon Eridani b.
Alors, dix ans après la réunion, dans la même salle, tous les efforts se traduisirent enfin par le début des préparatifs. Les premiers migrants de l'espace savaient où aller.

Marina, dans sa bulle, restait souriante, irréelle et vaporeuse. Sur un des côtés de la salle, un hologramme reproduisait le système solaire lointain mais accessible. Et le docteur Bravo expliqua aux parents :

« Nous n'enverrons que des très jeunes enfants souffrant d'epidermolisis bulosa, mais pas d'adultes qui en sont atteints. Donc, ces enfants auront besoin d'éducation, de surveillance, d'accompagnement humain et de beaucoup d'affection. Vous n'êtes pas obligés d'accepter, mais je précise que seuls partiront les enfants dont les parents accepteront de les suivre. Il vous appartient de décider si vous acceptez la migration. La sphère dans laquelle Marina se trouve en ce moment reproduit l'environnement d'Epsilon Eridani b, et les effets sur sa condition physique sont évidents. On a construit des conteneurs qui reproduisent la gravité et les caractéristiques de la Terre. Vous vivrez là, avec les autres parents et les techniciens qui se sont portés volontaires. Vos corps ne pourront s'adapter à Epsilon Eridani b et il s'ensuit que vous ne pourrez pas sortir des conteneurs. Notre technologie permettra votre voyage, mais, pour le moment, nous ne sommes pas en mesure de garantir un retour, et celui-ci ne sera sans doute pas possible avant plusieurs décennies.
— Qu'est-ce qui nous arrivera si nous sortons des conteneurs ? demanda le père.
— Vous vous transformerez en blocs de pierre.
— Et elle ? demanda la mère qui regardait sa petite à travers la vitre bombée.
— Elle sera libre, volera, et son corps prendra des couleurs, comme un papillon.
Les deux apposèrent leur signature sans une seconde d'hésitation.


Nanim Rekacz
Publicado en Un(e) auteur(e), des nouvelles...

1 comentario:

Nanim Rekacz dijo...

Gracias por incluírme en este espacio, y por la tarea de relevar y difundir la obra de autores argentinos traducida en otros idiomas.